C’est un peu par hasard que la communauté scientifique a découvert ce curieux phénomène : la proportion des fumeurs parmi les malades atteints du Covid-19 est étonnamment plus faible qu’au sein de la population. Une étude chinoise, publiée dans le New England Journal of Medicine, avait ainsi relevé 12,8 % de fumeurs parmi les patients ayant contracté une forme sévère du coronavirus, contre 28 % dans la population chinoise.
Même constat en France. L’Assistance publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP) a dénombré 8,5 % de fumeurs sur les 11 000 malades hospitalisés, contre 25,4 % dans la population française. Là encore, une proportion étonnamment faible. « Les raisons de cette protection ne sont pas établies, mais la nicotine pourrait être un candidat », indique l’AP-HP dans un communiqué.
« 80,3 % moins de fumeurs chez les patients atteints du Covid-19 que dans la population »
Pour le vérifier, le professeur de médecine interne Zahir Amoura et son équipe de la Pitié-Salpêtrière ont lancé une première étude entre le 28 février et le 30 mars, qui a fait l’objet d’une prépublication le 20 avril dernier. Elle porte sur 343 patients hospitalisés, âgés de 65 ans en moyenne (206 hommes, 137 femmes), et sur 139 patients en ambulatoire, de 44 ans en moyenne (62 hommes, 77 femmes), tous testés positivement au Covid-19. Au sein de ces deux groupes, on compte “seulement” 5,3 % de fumeurs quotidiens, contre 25,4 % au sein de la population française.
« Il y a 80,3 % moins de fumeurs chez les patients atteints du Covid-19 que parmi la population générale de même sexe et de même âge », résume le professeur Zahir Amoura. Publié dans Les Comptes rendus de l’Académie des sciences et signé Jean-Pierre Changeux, neurobiologiste français mondialement connu, un article intitulé « une hypothèse nicotinique pour le Covid-19 avec des implications préventives et thérapeutiques » suggère une première piste. Ce serait la nicotine ou, plus précisément, le récepteur nicotinique de l’acétylcholine, qui impacterait l’infection au SARS-CoV-2 et qui agirait alors comme un « agent protecteur ».
Une étude clinique pour tester le rôle préventif et curatif de la nicotine
Pour autant, l’AP-HP, le CNRS, l’Inserm, le Collège de France et l’Institut Pasteur qui ont cosigné l’article formulant cette première hypothèse se montrent très prudents. Conscients de la létalité bien supérieure du tabac par rapport au Covid-19, ils ne vont évidemment pas recommander de se mettre à fumer pour s’immuniser ! « Tout est une question de balance bénéfice/risque », indiquent Zahir Amoura et Jean-Pierre Changeux. À ce titre, l’addictologue William Lowenstein préconise de ne pas pratiquer de « sevrage tabagique brutal » chez les patients hospitalisés en raison du Covid-19, afin de maintenir leur apport en nicotine.
Pour vérifier leur hypothèse, les chercheurs entament une étude clinique. Soutenus par le ministre de la Santé Olivier Véran et le directeur général de la Santé Jérôme Salomon, ces essais vont prendre la forme de patches nicotiniques. Distribués à trois publics différents, avec divers dosages, ils viseront notamment à mesurer le rôle préventif de la nicotine (auprès des soignants) et la diminution des symptômes et de l’état inflammatoire chez les patients hospitalisés.
Et la vape dans tout ça ? Si elle n’est nullement citée dans les études et les constats actuels, elle semble présenter un potentiel dans le cadre de ces recherches. À un certain dosage en nicotine, l’e-cigarette pourrait ainsi suppléer les patches aujourd’hui testés. Nous ne manquerons pas de vous informer de l’avancée de ces travaux.