[Interview] Montreal Original : À la conquête des fumeurs

Quoi de mieux, pour convaincre les fumeurs, que de leur proposer une gamme complète de classics dont la force réside dans la restitution des saveurs ? C’est le parti qu’a pris la marque québécoise. Explications avec le président Nathan Fréchette-Gagnon.

[Interview] Montreal Original : À la conquête des fumeurs

Peux-tu retracer pour nous page1image27470336l’historique de la marque Montreal Original ?

Nathan Fréchette Gagnon : Ça fait huit ans que j’évolue dans l’industrie de la vape. Avec mes associés, on s’est penchés sur la question de la restitution des goûts tabac. Notre industrie s’est beaucoup construite sur les arômes alimentaires, or il n’y a pas d’aliment qui ait le goût du tabac. En 2018, il y a eu un événement important au Canada : la légalisation du cannabis au niveau fédéral. Tout à coup, on a vu apparaître des produits de vape au cannabis avec une restitution des saveurs bluffante. Eux étaient capables de proposer, dans des petits cartomizeurs rudimentaires, des liquides très fidèles. Ce qui nous a amenés à nous demander si nous ne pouvions pas utiliser certains de leurs procédés pour les appliquer aux saveurs tabac. On s’est mis au boulot. Pendant trois ans, on est partis dans une phase de R&D durant laquelle on a travaillé sur l’osmose inverse, un procédé que beaucoup de gens connaissent avec la désalinisation de l’eau de mer. On a investi plus d’un million pour que ces recherches aboutissent. À la fin de l’année 2020, nous avons lancé notre gamme de produits au Canada.

 

Est-ce que tu peux, en vulgarisant, décrire ce procédé et nous dire quel avantage il présente ?

L’osmose inverse, c’est lié au mouvement des liquides. Pour la désalinisation de l’eau de mer, on utilise deux compartiments séparés par une membrane qui ne laisse passer que les molécules d’eau. Au lieu de le faire avec de l’eau, on utilise de la VG (du glycérol). Grâce à la pression, on réussit à ne faire passer que le liquide à travers la membrane et on a notre tabac de l’autre côté. Pour simplifier, je dirai que ça nous permet d’extraire les terpènes du tabac. Contrairement à d’autres types de procédés qui produisent des résidus soit nicotiniques soit liés à l’extraction, on supprime tous les résidus, donc on obtient le spectre d’arômes dans un liquide très clair et très fidèle du point de vue aromatique.

[INTERVIEW] Montreal Original : À la conquête des fumeurs

Comment vos produits ont-ils été accueillis au Canada ?

On a connu une ascension fulgurante. Les gens ont été très surpris. Ça fait plusieurs années que les gens entendent l’argument de vente qui consiste à dire « notre saveur tabac a vraiment le goût de la cigarette », sans que ça se vérifie. Du coup, les clients se montrent sceptiques avant même de goûter. Moi, mon moteur, mon carburant, ç’a été d’observer la réaction des gens après leur première bouffée. On s’est rendu compte que le consommateur attendait ça depuis longtemps. Très vite, on s’est imposé comme un des leaders dans le pays. Aujourd’hui, après un an de commercialisation, on domine la catégorie des classics ; on est distribué dans huit provinces du Canada, on travaille avec les plus grosses chaînes. Bien sûr, ce n’est pas comme quand un nouveau fruité sort et qu’il y a un énorme buzz dans la foulée. Ça a pris un peu de temps avant que les gens apprennent à connaître le produit. Aujourd’hui, on en tire une grande fierté. Cette réussite nous a amenés à nous tourner vers la France, un pays qui compte encore beaucoup de fumeurs (10 millions, je crois), et donc est susceptible d’être intéressé par nos produits.

 

La France, c’est votre première expérience à l’export ?

Oui. Notre entreprise, comme les Québécois en général, entretient une relation particulière avec la France. Il y a la langue qui nous unit, mais aussi une histoire qui s’entrecroise… On savait aussi qu’il y avait beaucoup de fumeurs chez vous. Et, en même temps, nous avons construit toute notre image de marque autour de Montréal, de son histoire. On savait que ça pouvait plaire aux Français, qu’ils pouvaient se retrouver là-dedans. D’ailleurs, on a été très bien accueillis.

 

Le design de votre gamme est extrêmement soigné, tout en sobriété. Ça allait forcément de pair avec la qualité des liquides ?

Tout à fait. Certains fabricants privilégient des étiquettes avec un design plutôt ludique. Mais, même si ça peut plaire à des consommateurs adultes, ça nous expose à la critique très répandue selon laquelle la vape ciblerait les jeunes. Au Canada, c’est tellement vrai qu’on est arrivé au point où il est question de bannir les arômes. Notre souhait était double. D’abord, il s’agissait d’aller dans une direction différente pour montrer l’exemple et améliorer la perception de la vape en développant une image sobre, adulte. Dans les shops, quand un vendeur choisit d’intégrer notre marque, ça apporte une grosse touche de noir au milieu de flacons colorés. D’autre part, on s’est dit : nous, on fait un produit pour l’adulte, le fumeur, le primovapoteur, donc élaborons un produit qu’il aura envie de sortir de sa poche, d’avoir sur sa table lors d’une réunion d’affaires ; concevons un produit qui soit vraiment adapté à l’adulte. On a fait un travail important au niveau de l’iconographie, qui est minimaliste, mais à laquelle les gens peuvent s’attacher. D’ailleurs, les cigarettiers avaient adopté une approche similaire avec leurs paquets de cigarettes…

 


« Ce procédé permet de supprimer tous les résidus. Donc on obtient le spectre d’arômes dans un liquide très clair et très fidèle du point de vue aromatique »


 

C’est un effort louable mais, pour me faire l’avocat du diable, on constate que les arômes, à travers diverses enquêtes, sont plébiscités par les fumeurs adultes en quête de sevrage tabagique…

Tu as raison. Ce que je te disais portait beaucoup plus sur l’image de marque que sur le contenu du flacon. Moi, dans mon parcours de vapoteur (j’ai commencé il y a huit ans), il m’arrive aussi de vapoter des fruités ou des desserts, je ne m’en cache pas. Mais le fait est que le contenant est aussi important que le contenu. À titre personnel, je n’ai rien contre une belle étiquette colorée ; le problème, c’est la perception que les gens peuvent en avoir. Au Canada, les étiquettes colorées, c’est la norme, mais ça nuit à l’industrie. La preuve, c’est qu’on envisage le bannissement des arômes. Nous, on est contre cette mesure, on sait que les arômes aident les gens à arrêter de fumer. Chez nous, les fruités représentent près de 80 % du marché. Notre approche, ce n’est donc pas une façon de dénigrer les autres, mais plutôt de montrer nos valeurs et de sortir du lot.

 

La question du bannissement des arômes, c’est une lame de fond. Beaucoup d’États s’alignent sur le discours de l’OMS au nom de la protection des mineurs…

Étant des vapoteurs de longue date, on est absolument contre l’interdiction des arômes, mais pour nous, ce n’est pas loin de devenir une réalité. On est à quelques semaines d’avoir une réponse définitive sur le bannissement généralisé des arômes dans tout le pays.

Cette réalité, il y a deux façons d’y faire face. D’un côté, il faut exposer des chiffres, des données, mettre en avant les bonnes informations ; de l’autre côté, il faut aussi créer de l’innovation au sein de l’industrie pour se prémunir contre cette menace. Ici, la crainte, c’est : si les saveurs disparaissent, qu’est-ce qu’on va avoir, dans nos étagères, à proposer aux clients ? Les boutiques ont peur de perdre leur gagne-pain, il y a beaucoup d’entreprises familiales, ça représente de nombreux emplois. Donc, pour notre part, on participe aux manifestations pour contester le bannissement des saveurs au Canada et, parallèlement, on essaie de proposer une solution avec des goûts tabac conformes à la liste des molécules aromatiques émise par le gouvernement. Si jamais l’interdiction est confirmée, nous avons fait en sorte que les shops aient des produits à mettre sur leurs étagères.

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Il y a deux ans, les États-Unis ont fait face à un scandale sanitaire à cause de cartouches de THC frelatées. Quel a été l’impact au Canada ? 

On a été un des pays les plus touchés, en raison, je pense, de notre proximité avec les États-Unis. Les ventes dans les boutiques ont enregistré des baisses jusqu’à 30 %, l’industrie a été particulièrement fragilisée. Beaucoup de désinformation a été partagée sur les réseaux sociaux avec des titres tels que « La vape cause des maladies pulmonaires », alors qu’en allant à la troisième ou quatrième ligne du premier paragraphe, on se rendait compte qu’il s’agissait de liquide au THC. Le problème, c’est que les gens ne prennent pas la peine de lire les articles, ils se contentent des gros titres, et c’est ce qui a fait que la peur s’est propagée. Pendant plus d’un an, il a donc fallu faire un gros travail de « rééducation ». Aujourd’hui encore, on rencontre des clients qui en parlent en boutique, mais on a globalement réussi à sortir de cette passe difficile.

 

Indépendamment de cette crise, est-ce que le discours des médias généralistes sur la vape s’est amélioré ou affiné au Canada ?

C’est une bonne question. Je pense que le discours ne s’est pas forcément amélioré, mais on voit beaucoup plus de gens prendre la parole pour exprimer une opinion différente et évoquer la vape sous un angle positif. Avant, on avait l’impression que tout ce qui sortait, c’était des articles négatifs. Et puis, on a aussi des associations qui travaillent beaucoup pour promouvoir une information de qualité…


« Il faut exposer des chiffres, mettre en avant les bonnes informations, mais aussi créer de l’innovation pour se prémunir contre un bannissement des arômes »


 

Justement, est-ce que ces associations arrivent à se faire entendre, au-delà de la filière vape, auprès du grand public ?

Tu vises juste. C’est le plus gros problème auquel on fait face en ce moment. On réussit très bien à s’adresser aux vendeurs dans les boutiques, aux professionnels de l’industrie. Ce sont eux qui réagissent le plus. Mais les consommateurs, eux, semblent un peu blasés. Parfois, on va les voir en boutique en leur disant : « Vous voyez, la fiole que vous avez entre les mains, vous ne pourrez probablement pas l’acheter si cette loi-là passe, donc allez signer la pétition, venez participer à la manifestation » Et ils n’ont pas l’air très concernés. L’autre point, c’est qu’on a eu beaucoup de mal, au cours de la dernière année, à se faire entendre des plateformes médiatiques. Pourtant, notre société a bien fait les choses. Dans les boutiques de Montréal, on a fait venir des appareils pour scanner les pièces d’identité. Le but, c’était d’éviter de prêter le flanc aux critiques qui sont faites à l’industrie de la vape, selon lesquelles on interpelle les mineurs. On était les premiers, à Montréal, à adopter ce système. Il y a deux questions qui se posent : est-ce que la bonne information parvient au consommateur ? Et, si c’est le cas, est-ce qu’il en a quelque chose à faire?

 

Pour changer complètement de sujet, l’industrie de la vape notamment rencontre des difficultés d’approvisionnement en matière première, ce qui se traduit par une flambée des prix. Vous êtes touchés, vous aussi, au Canada ?

Oui, absolument. Le prix du propylène glycol a augmenté de façon fulgurante, de même quel coût des expéditions d’ailleurs. Les gens n’y pensent pas nécessairement, mais, par exemple, l’alcool qu’on utilise pour nettoyer les laboratoires et les outils de production a également connu une hausse des tarifs drastiques, ce qui a des répercussions importantes. J’en parlais récemment avec un de nos partenaires et je lui disais à quel point ça nous impacte au niveau des coûts de fabrication.

Bien sûr, au début de cette crise, certains ont pu s’approvisionner en conséquence, mais vu que ça dure, il est inévitable qu’à un moment donné, on soit confronté à cette pénurie et à une hausse des prix. Ces difficultés nous amènent à réfléchir différemment, à nous demander comment on peut compenser ces surcoûts pour éviter au consommateur d’en payer le prix.

 


« Ce qui nous conforte dans notre approche, c’est qu’il existe des fumeurs qui souhaitent arrêter le tabac, mais qui restent attachés au goût de la cigarette »


 

Sachant que votre marque est axée sur les saveurs classic, ce qui est assez restrictif, comment envisagez-vous votre développement par la suite

Nous, on a fait le choix de se positionner comme un leader sur le créneau du classic. C’est notre marque de fabrique. Je pense qu’il y a énormément de choses à faire avec le procédé qu’on utilise. Ce qui est particulier dans notre façon de travailler, vu que c’est une méthode d’extraction réputée propre et qui élimine tous les résidus, c’est qu’on est capable d’extraire directement du tabac industriel, c’est-à-dire du tabac qui est utilisé dans la cigarette.

Sachant cela, il y a beaucoup à faire car on peut envisager énormément de variations, comme elles existent pour les cigarettes d’ailleurs. Après, on peut également parler des cigares, du tabac à pipe… Les liquides fruités ou les gourmands, c’est un segment hyper important mais qui est aussi ultra-concurrentiel, il existe une offre très conséquente sur cette catégorie de produits. Et donc, je pense qu’avec les classics, il y a davantage de perspectives pour le développement.

Et puis, notre ambition ultime, c’est d’établir un catalogue complet de classics. L’industrie actuelle est ce qu’elle est, mais elle ne représente encore qu’une infime partie par rapport à tous les fumeurs qu’il reste à convaincre. C’est le cas en France, où vous avez encore beaucoup plus de fumeurs que de vapoteurs, et c’est aussi le cas chez nous.

Un dernier point : dans les deux ou trois dernières années, on a observé une sorte de plateau. On voit bien moins de « primo » venir en boutique donc on a atteint un point de saturation, d’où la nécessité de se poser cette question : est-ce que l’offre actuelle répond aux besoins de tous les fumeurs qui pourraient devenir des vapoteurs potentiels ? C’est ce qui nous conforte dans notre volonté de proposer une gamme axée sur le classic car il existe des fumeurs qui souhaitent arrêter le tabac mais qui restent attachés au goût de leur cigarette.

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Une dernière question. Le marché du CBD explose. Est-ce que c’est un aspect que vous envisagez de développer par la suite ?

C’est certain, ce marché est intéressant, mais ça ne fait pas partie de nos pistes de réflexion. On préfère se concentrer sur notre créneau actuel pour bien faire les choses. Donc on essaye de ne pas ratisser trop large et on reste focalisé sur la qualité de la restitution des goûts classic. Par contre, chapeau à l’industrie du CBD qui est en train de se faire une belle place, notamment sur le marché français. Au Canada, l’essor du cannabis a permis de se rendre compte qu’il y avait beaucoup de consommateurs qui se situent  dans la tranche d’âge 40-50 ans, contrairement à l’idée reçue selon laquelle ça ne concernerait que les jeunes. Donc je suis convaincu que c’est quelque chose qui peut toucher toute la société.

(Interview réalisée en novembre 2021)


Retrouvez le site de la marque montrealoriginal.shop


Pour plus d’articles sur le même thème c’est par ici [Les femmes de la Vape] Maryline Leroy-Smart Liquid

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